« Beaucoup de pratiques des tiers-lieux pourraient inspirer l’entreprise »
L’Agence nationale pour l’Amélioration des Conditions de Travail (ANACT) et ses satellites en région, les ARACT, sont des acteurs et observateurs privilégiés de l’organisation du travail dans les entreprises. Ils s’intéressent particulièrement aux problématiques émergentes. Rencontre avec Damien Granier, chargé de mission de l’ARACT Auvergne-Rhône-Alpes en poste à Clermont-Ferrand.
Pouvez-vous nous présenter le réseau ANACT-ARACT ?
L’ANACT – Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail – est un établissement public fondé il y a 40 ans et administré de façon tripartite par l’État, les organisations syndicales et les organisations patronales.
Par la suite, cette institution a ressenti la nécessité de disposer de structures relais sur le terrain et les ARACT, associations régionales, ont été développées, mais seuls les partenaires sociaux, et non l’État, sont parties prenantes dans leur gestion. Il en existe dix-sept réparties sur le territoire national. Toutes ces structures sont indépendantes mais elles forment un réseau, peuvent mener des projets communs, éventuellement coordonnés par l’ANACT qui par ailleurs participe au financement des associations régionales.
« Nous nous spécialisons sur les sujets émergents »
Notre rôle est de promouvoir l’amélioration des conditions de travail, en apportant des connaissances, des espaces de débat et des actions de sensibilisation. Pour ce qui concerne les ARACT, elles ont aussi vocation à conseiller et aider les entreprises dans leurs démarches sur ces sujets : que ce soit la qualité de vie au travail, l’ergonomie, la prévention de risques psycho-sociaux, la gestion prévisionnelle de l’emploi, etc. Nous intervenons aussi bien sur de la sensibilisation que sur la mise en œuvre de projets. Nous pouvons aussi intervenir ‘à chaud’, dans des situations de blocage, avec des dispositifs d’appui au dialogue social.
Sur ces missions en entreprise, en quoi vous différenciez-vous du rôle de cabinets de consultants ?
Notre caractéristique, directement liée à la nature paritaire de nos structures, c’est de n’intervenir que lorsqu’il y a un consensus entre la direction de l’entreprise et les représentants du personnel pour engager une démarche.
Nous n’intervenons pas sur l’aménagement ou les espaces de travail, mais davantage sur l’organisation du travail, les questions de management.
Par ailleurs, notre approche est une méthodologie du « faire faire », ne serait-ce que parce que nous n’avons pas les effectifs et moyens nécessaires pour des interventions plus lourdes. Nous ne posons pas un diagnostic de sachant ; nous tenons plutôt le rôle de guide, de tiers facilitateur pour favoriser le dialogue sur les questions liées au travail.
Enfin, grâce à notre travail d’observation et d’analyse du monde du travail, nous essayons de nous spécialiser sur les sujets émergents, sur les aspects innovants. Par exemple, nous avons commencé à nous intéresser au télétravail il y a dix ans et de ce fait, nous avons aujourd’hui un recul intéressant sur ce sujet.
Plus récemment, vous vous êtes penché sur le cas des tiers-lieux, y compris en venant observer ce qui se passe à Épicentre Factory. En quoi ce sujet intéressait les Aract ?
J’ai effectivement participé à cette étude interrégionale menée conjointement en Auvergne, en Picardie et en Aquitaine. Nous nous sommes immergés dans une vingtaine de tiers-lieux de tous types : coworking, fablabs, centres de télétravail, hackerspaces, etc., pour étudier ces nouvelles formes de travail. Il y a un discours promotionnel sur ces lieux émergents qui souligne les aspects intéressants sur les conditions de travail, l’autonomie, la collaboration… Nous voulions interroger les problématiques liées aux conditions de travail et d’emploi, pour comprendre s’il y avait des choses à pointer du doigt ou des enseignements à tirer.
« Dans les tiers-lieux, nous avons étudié les modes de collaboration ou de concurrence »
Ces lieux répondent à de vrais besoins, notamment pour des travailleurs indépendants, des entreprises en démarrage, des start-ups. Mais en même temps ils soulèvent de nouvelles questions liées par exemple aux risques psycho-sociaux : ceux de la surcharge de travail ou de la précarité.
Quels aspects vous ont particulièrement interpellés ?
J’ai beaucoup questionné l’aspect collaboratif, qui est très fort dans ces espaces. Il correspond à un esprit d’ouverture particulièrement intéressant. Mais il engendre des comportements qui peuvent paraître à contresens de cet esprit : par exemple, dans les espaces ouverts, les coworkers ont parfois des stratégies d’isolement, en portant un casque sur les oreilles ou en tournant leur bureau vers le mur. Mais l’instant d’après, ils vont s’ouvrir aux autres le temps d’un café. Ce sont moins des contradictions que de nouvelles façons d’organiser son travail.
Un autre sujet lié à ces questions de collaboration est celui de la concurrence. L’exemple type est celui des photographes : il y en a presque toujours un dans les lieux de coworking. Que se passe-t-il lorsqu’un deuxième photographe souhaite s’installer dans le même espace ? Dans certains lieux, comme c’est le cas à Épicentre, il sera bien accueilli, avec un vrai esprit d’ouverture et de partage. Dans d’autres, surtout dans les espaces plus petits, cela va être compliqué.
« Le tiers-lieu démontre par exemple la créativité des pauses-café »
Ce sont des problématiques qui n’existent pas dans l’entreprise. Mais il nous semble intéressant de les creuser. Même si nous n’intervenons que très peu auprès d’indépendants, il s’agit d’une forme de travail en plein développement et on peut imaginer que des problématiques vont devenir centrales. Nous essayons d’anticiper ces évolutions, d’avoir une longueur d’avance.
Dans cette étude, avez-vous repéré des aspects susceptibles d’inspirer les entreprises ?
Bien sûr. Beaucoup de pratiques des tiers-lieux pourraient inspirer les entreprises pour améliorer les conditions de travail : sur l’autonomie, la place laissée à l’informel, l’agilité, l’environnement de travail, la recherche permanente d’innovation et de créativité, la flexibilité et ce qu’elle fait gagner en réactivité, la recherche d’une émulation permanente et de collaborations, le décloisonnement, l’ouverture aux autres…
Juste un exemple : dans les entreprises, on a tendance à réduire les temps de pause, considérés comme non productifs. Alors que dans un espace de coworking, on se rend vite compte que le lieu central est le coin café ; la pause, c’est le moment où on échange, où on s’ouvre aux autres, où on partage des idées… Les dirigeants d’entreprises devraient comprendre que pendant les pauses, leurs employés parlent boulot. Ce sont des temps très créatifs !
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