Rencontre avec Brigitte Nivet, autour d’un champ de recherche infini
Brigitte Nivet, enseignante-chercheur en management à l’École supérieure de Commerce de Clermont-Ferrand, est spécialisée dans les innovations sociales et managériales. Le 21 septembre, elle participera à nos deux tables rondes, pour apporter le regard de la science aux côtés des témoignages d’acteurs de l’entreprise. Rencontre en forme d’empilement de questions passionnantes.

Brigitte Nivet, checheur en management : « Nous apportons une dimension humaine aux questions de management. »
Parmi leurs collègues, ils sont considérés comme « le groupe People ». Non pas parce que ce sont des célébrités, mais en référence au groupe de travail qui les réunit : le Programme d’Études sur les Organisations Post-managériales et la Libération des Entreprises. Et peut-être aussi parce qu’ils apportent un certain décalage au cœur de l’École supérieure de commerce de Clermont, où l’on raisonne surtout en termes de business, de finances, de marketing… « Nous apportons l’humain, confirme Brigitte Nivet. Nous avons des convictions très fortes et il nous semble important d’apporter les sciences humaines – l’anthropologie, la sociologie, le recul de l’Histoire, etc. – dans les organisations et auprès de nos étudiants qui se préparent à y entrer. »
Ces six chercheurs sont aujourd’hui lancés dans deux grands projets d’étude qu’ils mènent en immersion dans ces organisations aux formes plus démocratiques : l’un dans neuf PME dont trois structurées en coopératives et le deuxième à l’intérieur du groupe Michelin et de son évolution vers la responsabilisation.
« Une parole se libère »
« Depuis quelques années, le sujet de l’entreprise libérée est devenu très discuté, mais ce que l’on en dit tourne toujours autour des mêmes angles. Beaucoup de questions restent peu discutées et il nous semble que la recherche a beaucoup à apporter. Nous avions entamé nos recherches avant cet engouement, dans la discrétion. Maintenant, nous sommes beaucoup plus sollicités car le contexte actuel contraint les entreprises à avancer dans l’inconnu et à revoir leurs modes d’organisation. Elles ont besoin de s’appuyer sur une production de connaissance », témoigne Brigitte Nivet.
La liste des questionnements qu’elle énumère paraît effectivement sans fin. Ils sont de l’ordre du ressenti : ce qui se joue dans les processus de démocratisation, ce qui se passe pour ceux qui n’adhèrent pas aux nouveaux modèles, la pérennité du mieux-être apporté… Ils concernent aussi les enjeux de pouvoir : que devient l’autorité dans une entreprise libérée ? Quelle place peuvent s’y faire les managers ? Que deviennent les tiers garants du dialogue social ? Comment se mettent en place les systèmes de reconnaissance ? de récompense ? Il peut encore s’agir de problématiques économiques : le principe des profits, le partage, la redistribution…
Elle constate également que les questions de performance, de bien-être, voire de bonheur, qui n’étaient débattues jusqu’à présent que par les sociologues, sont devenues des sujets dont les acteurs économiques s’emparent, à l’heure où l’organisation se transforme et où le salariat, le travail lui-même est remis en question. « Ces évolutions libèrent une parole », poursuit-elle, en soulignant qu’elles génèrent beaucoup d’angoisses. « C’est toute la société qui se transforme, dans un contexte d’individualisme, mais aussi d’individualité et de pluralisme, avec de nouvelles formes de collectifs, fondés sur d’autres éléments. »
De la gestion du quotidien à l’éclairage prospectif
Brigitte Nivet ne cache pas ses propres inquiétudes devant les risques de cette société en mutation : « On a d’une part un effacement des intermédiaires, comme les organisations syndicales ou l’État, qui laissent les individus seuls face à l’entreprise ; d’autre part l’entreprise qui se soucie de bien-être, mais peut-être parfois pour avoir constaté que l’excès de la gestion par le contrôle et la contrainte a nui à la performance. Dans tout cela, le modèle libéral n’est pas remis en question et on peut craindre de revivre une période de pré-capitalisme et de pré-salariat, sans rien pour amortir la brutalité de la condition des individus, alors même que le travail se réduit et que l’on supprime énormément d’emplois. »
D’où l’intérêt de faire appel à la recherche, pour élaborer les scénarios prospectifs. Vers quel modèle social allons-nous ? Vers la subordination fragile de travailleurs indépendants à des plateformes de donneurs d’ordre souverains ? Ou vers une dimension plus coopérative ou collaborative ? Encore des problématiques ouvertes au champ de la science, qui peut aussi, très concrètement, apporter des éclairages utiles dans la gestion quotidienne des ressources humaines.
Un Master unique en France
Sur toutes ces questions, le petit groupe de l’École de commerce apparaît comme pionnier. De par son ancienneté d’abord, puisqu’il a été amorcé il y a une trentaine d’années par Philippe Trouvé, sociologue et spécialiste des utopies d’entreprise. Brigitte Nivet et trois de ses collègues ont été ses élèves et participent au programme PEOPLE, dont il est le directeur scientifique.
Et par ailleurs en aval, puisque ces recherches s’articulent avec un axe pédagogique affirmé. Prenant le relais d’un ancien Master spécialisé créé dès 1989 par Philippe Trouvé, Brigitte Nivet relance cette année un cursus unique en France, seule formation réunissant les questions d’innovation managériale et de gestion des ressources humaines. « Nous accueillons douze étudiants dans cette première promotion. Ils auront à effectuer un stage dans une entreprise en transformation. Ce qui alimentera encore nos connaissances », se réjouit-elle.
Quant à nous, nous ferons dialoguer Brigitte Nivet lors de nos tables rondes avec des acteurs de ces nouvelles expérimentations, dont certaines qu’elle connaît bien. Autant dire que le dialogue promet d’être d’une grande richesse.
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Ces questions vous intéressent ? Venez en débattre au 2e Living Orgs Day, le 21 septembre. Pour s’inscrire : C’est ici.