La leçon de bonheur de Béatrice Le Conte
Notre précédent article présentait Benoît Chéhère, qui parlera le 7 juin de l’expérience vécue sur le terrain dans les usines pilotes, qui expérimentent chez Michelin la responsabilisation. Sa collègue Béatrice Le Conte nous expliquera la vision globale du projet, de la philosophie à la mise en œuvre.
« La responsabilisation, chez Michelin, nous l’avons d’abord appliquée de façon standard. A partir de 2013, nous avons voulu aller plus loin, en confiant à des îlots, puis à des usines pilotes, la possibilité de s’emparer des sujets d’organisation. Les équipes sont revenues avec les yeux plein d’étoiles, avec plus de sérénité, une compréhension des projets, un tas d’idées… », raconte Béatrice Le Conte. Chez Michelin depuis 2011, elle a très vite intégré la petite cellule de cinq-six personnes chargées, au sein du service du personnel, de mettre en place la responsabilisation.
Comme son collègue Benoît Chéhère, elle accompagne quelques unités – celle du Puy-en-Velay, une autre aux Etats-Unis et quelques-unes à Clermont, y compris des équipes supports. « C’est un rôle de coaching : je les aide à réfléchir, à comprendre, à avancer… »
Elle participe aussi à la construction du « modèle Michelin », qui s’inspire d’autres expériences, des recherches, de la littérature sur le sujet, mais aussi des expériences internes, des enjeux et valeurs propres à l’entreprise.
Des moments magiques
Avec une formation d’ingénieur, Béatrice Le Conte a fait l’essentiel de sa carrière dans la métallurgie. « J’ai tout de suite voulu travailler dans l’industrie lourde, ce qui était original pour une femme. De plus, étant originaire de la campagne, je ne voulais pas vivre à Paris. C’est ainsi que j’ai trouvé un poste chez Péchiney à Issoire et que j’ai découvert la région. J’ai adoré ! Je me suis mise à la rando, à l’escalade. Aujourd’hui, je me sens auvergnate. » Mis à part une pause de trois ans pour suivre son mari à Tokyo, tout se passera dans les usines d’aluminium issoiriennes : « Pour moitié dans le management d’usine et pour moitié comme chef de projet, sur les principes du lean manufacturing », précise-t-elle.
Jusqu’en 2011, au moment où le groupe passe aux mains de fonds d’investissement et où elle ne se reconnaît plus dans les directives de management. Elle se fait alors recruter par Michelin, espérant s’y trouver davantage en adéquation avec ses propres valeurs. Manifestement, c’était bien estimé, à en juger par ce qu’elle exprime de son rôle actuel : « C’est la première fois que je me sens autant en accord avec moi-même. La responsabilisation rejoint ma passion pour la recherche d’une organisation où les personnes trouvent du sens à leur travail. Je suis heureuse de faire ce que je fais ! »
Accélération
Ce bonheur, elle le ressent avant tout dans ses contacts avec les équipes : « Je vis des moments très beaux et très émouvants, par exemple quand des opérateurs me confient qu’ils sont venus travailler pendant vingt ans en traînant les pieds et qu’ils trouvent désormais de l’enthousiasme et du sens à faire leur travail. Ce sont des moments magiques. »
En fait, les choses se sont si bien passées dans les unités pilotes que Michelin a décidé d’accélérer le mouvement. Ce fonctionnement, qui vise à donner des responsabilités d’organisation à des équipes entières, à l’échelle de chaque îlot d’une quarantaine d’employés, devait être testé sur cinq usines jusqu’à achèvement du processus, soit environ cinq ans ; ensuite, un bilan serait établi, puis on déciderait de son extension à tout le groupe. « Il est encore trop tôt pour être sûr que l’expérience sera entièrement concluante, mais les signaux sont tellement positifs que ce calendrier nous a paru trop lent. D’où l’idée d’ouvrir le processus, dès 2015, à toutes les usines qui en feraient la demande, sous certaines conditions quant à leur situation », explique Béatrice Le Conte.
Un objectif double
Tout n’est cependant pas parfait dans le monde du management made in Michelin. « Je vis aussi des moments un peu compliqués, dus à la frustration de ne pas aller assez vite. Un groupe de cent dix mille personnes est difficile à mettre en mouvement. C’est toute une culture qui doit être changée, à tous les niveaux. Et même les plus convaincus retrouvent parfois de vieux réflexes contradictoires avec ce que nous mettons en place. Il faut être capable de l’accepter et de continuer à avancer, malgré les freins. »
Le 7 juin, Béatrice Le Conte nous expliquera plus en détail la démarche de responsabilisation de la firme et développera son credo : « En général dans ces démarches, on insiste trop sur la performance économique générée. Ou parfois trop sur l’épanouissement des salariés. Selon moi, pour réussir, il est impératif d’avoir ces deux objectifs, sans privilégier l’un par rapport à l’autre. »
Texte Marie-Pierre Demarty – Photos Sébastien Godot