Benoît Chéhère : « Nous sommes en train de changer le monde ! »
A l’origine, nous espérions accueillir au Living Orgs Day des opérateurs d’une usine pilote de la démarche responsabilisation de Michelin. Mais les responsabilités impliquent des obligations et l’usine du Puy est mobilisée le 7 juin sur son propre projet. Benoît Chéhère se fera leur porte-parole. Coordinateur de la responsabilisation pour les usines françaises du groupe, il les assiste avec conviction.
« Je ne doute pas un seul instant que nous sommes dans la bonne voie et que ce mouvement est irréversible », lance Benoît Chéhère. Depuis un an, il coordonne la démarche responsabilisation pour les usines de Michelin en France. Du moins celles qui se portent volontaires, c’est-à-dire, pour l’instant, environ la moitié des douze unités de production, auxquelles s’ajoutent celles de Clermont. « J’ai deux principes, poursuit-il. Le premier, c’est que je ne viens dans une usine que si on m’appelle. Et le deuxième, c’est que je n’apporte pas de solutions. Je peux témoigner de ce qui se passe ailleurs mais c’est aux équipes de réfléchir et de trouver leur propre pratique. C’est pourquoi nous avons besoin de managers qui soient prêts à s’engager. Mon métier, c’est de les aider à réfléchir, de les encourager. »
Benoît Chéhère sait de quoi il parle. A l’origine ingénieur, chez Michelin depuis dix-sept ans, il a mené une grande partie de son parcours dans des unités de production. D’abord dans des postes d’organisation industrielle, puis dans le management, comme chef d’atelier, soit à la tête d’une centaine d’opérateurs à chaque fois. De Cataroux à Bourges, puis à l’usine Kléber de Toul jusqu’à sa fermeture en 2008, un petit passage au siège, avant de revenir à Cataroux diriger un atelier qui produit des mélanges pour la recherche et la compétition.
Beaucoup de managers sont prêts
« Tous les deux ou trois ans, nous faisons un point avec notre hiérarchie sur nos possibilités d’évolution. A l’occasion de cet entretien, j’avais parlé de mon intérêt pour l’innovation managériale. Je ne pensais pas spécialement à ce poste mais c’est de cette façon que j’ai été repéré et qu’on me l’a proposé. »
L’innovation managériale, chez Michelin, ce n’est pas nouveau. Quand on lui en demande l’origine, Benoît Chéhère se tourne vers le mur de son bureau où sont affichées quelques citations inspirantes et montre celle d’Edouard Michelin, daté de 1928 : « Cela a toujours été un de nos principes de mettre la responsabilité sur le dos de l’exécutant dans toute la mesure du possible ». Avec les quatre motifs qui suivent (cf. photo), toute la démarche actuelle semble déjà parfaitement résumée.
Les racines sont donc anciennes, mais la véritable impulsion date d’environ trois ans. Arrivé en cours de route dans ce projet, Benoît Chéhère n’en est pas moins enthousiaste : « C’est hyper-formateur sur le métier de manager J’apprends beaucoup en lisant les travaux et témoignages sur la transformation managériale. Et ce qui m’a ébloui, c’est de découvrir dans cette littérature des pratiques que j’avais enfouies en moi ou que je pratiquais instinctivement. Comme par exemple la règle des 3% de personnes réticentes dans tout projet, pour lesquelles on dépense beaucoup d’énergie à fixer des lois ou des normes. Je la ressentais depuis longtemps et je l’ai retrouvée dans le discours de Jean-François Zobrist (1). La documentation nous conforte, nous autorise à les mettre en œuvre. Je sais que comme moi beaucoup de managers sont prêts à s’engager à condition d’y être encouragés. »
Cela prend du temps
Parmi ses motivations, il y a aussi celle qu’il classe dans la catégorie du « sentiment d’agir pour quelque chose qui vous dépasse ». Chez lui, elle est simple à exprimer : « Accessoirement, nous sommes en train de changer le monde ! »
D’où son rôle, qui consiste à valoriser les équipes et à leur apporter des outils inspirés du lean management, de l’agilité et autres méthodes permettant d’allier motivation, collaboration, efficience, en redonnant une responsabilité à tous les membres d’une équipe. « Ensuite, précise-t-il, c’est à eux de trouver comment s’emparer de ces outils et comment les utiliser, qui participe à quelle tâche, quelles fonctions du manager peuvent être déléguées aux opérateurs. Mais cela prend du temps. On estime qu’il faudra environ cinq ans pour mettre en place une organisation responsable dans une usine. C’est nécessaire car il s’agit d’un véritable changement de culture. »
Heureux, Benoît Chéhère l’est aussi dans l’organisation de son travail, qui s’approche de ce qu’il met en œuvre dans les usines. « J’ai une grande autonomie. Je me déplace dans les différentes unités et mon chef ne sait même pas où je suis ! »
Il lui reste quand même une frustration : « J’aide les usines à réaliser leur transformation mais je ne réalise rien moi-même. » Du coup, il se verrait bien, par la suite, évoluer à nouveau vers un poste de manager. « Pour mettre en pratique tout ce que j’apporte aux autres. »
Texte Marie-Pierre Demarty – Photos Sébastien Godot
(1) Jean-François Zobrist, ancien dirigeant de la fonderie Favi, a été dans les années 1980 un des précurseurs de démarches « entreprise libérée », fondées sur « l’Amour du client, la confiance en l’Homme et l’innovation ».