Une médecine nouvelle génération pour l’entreprise
L’Auvergne aussi a ses pionniers de l’entreprise libérée. A Aurillac, le laboratoire pharmaceutique Biose s’est engagé dans la voie de l’intelligence collective il y a deux ans, pour accompagner un fort développement. Conclusion : ça marche. Stanislas Desjonquères, le maître d’œuvre de cette mutation, donnera au Living Orgs Day le point de vue du dirigeant.
Stanislas Desjonquères est un homme pressé. Et il a de bonnes raisons de l’être : il a l’ambition de hisser la PME aurillacoise qu’il dirige au rang de laboratoire de référence, à l’égal des plus grandes entreprises pharmaceutiques. L’aventure a commencé lorsqu’il reprend en 2008 les rênes de la société dirigée par son père. A cette époque, elle s’appelle encore Probionov. Fondée dans les années 1950, elle fabrique des bactéries, pour la gynécologie et la gastroentérologie.
Dès son arrivée, le nouveau président du directoire entreprend d’investir fortement dans la recherche et développement. Il croit fortement au potentiel d’une médecine agissant sur le microbiote, cet écosystème de milliards de bactéries que l’être humain porte dans son corps, et dont le fragile équilibre conditionne notre bonne santé. La spécialité de Biose – le nouveau nom de la société – est l’action sur le microbiote. Stanislas Desjonquères parle de « médecine nouvelle génération, préventive plus que curative. »
La R&D a tenu ses promesses. Biose est aujourd’hui porteuse d’innovations très prometteuses. Produisant un chiffre d’affaires de douze millions d’euros et employant une petite centaine d’employés, elle est entrée dans une période de forte croissante.
Responsabilité augmentée
Pourtant, la recherche seule n’a pas suffi pour aboutir à cette situation favorable. C’est Stanislas Desjonquères qui le soutient. « J’ai fait une école de commerce, puis j’ai travaillé dans différentes grosses entreprises, toujours dans l’industrie pharmaceutique. J’ai occupé des postes de dirigeant. Autant dire que j’ai été façonné par le système grandes écoles / grandes entreprises. Et quand j’ai repris le labo familial, pendant cinq ans, j’ai dupliqué ce modèle. » Le modèle, c’est celui qui comprend un comité de direction, une hiérarchie pyramidale et des exécutants qui ne savent pas forcément très bien pour quoi et à quoi ils travaillent.
« J’ai vu les limites de ce système et c’est pour cette raison que j’ai décidé de changer, poursuit-il. Même si je n’en ai pas de preuve formelle, j’ai l’intime conviction que le changement d’organisation a fortement joué dans le succès de notre développement. Cela marche. »
Ce qui a changé ? A partir de février 2014, Biose entre en mutation et applique – à sa manière – le modèle de l’entreprise libérée. Stanislas Desjonquères préfère parler de « SARA », pour « société à responsabilité augmentée ». Dans ses grands principes, il s’agit de faire prendre les décisions par ceux qui sont directement concernés, de donner à tous les employés la possibilité de prendre des initiatives, d’apporter de la transparence et de la confiance et surtout, de construire une vision commune qui donne du sens au travail collectif. Dans la pratique, les fonctions supports deviennent des « générateurs d’autonomie », les cadres sont réorientés dans des missions au service du bien commun, les moyens sont donnés à la mesure des besoins. Et les tâches inutiles qui encombrent le quotidien – rebaptisées poétiquement en interne « Les cinq C » pour « C’est con mais c’est comme ça » – sont traquées et supprimées systématiquement.
Un modèle
Le processus est expérimental. Il rencontre des freins et des blocages ; l’entreprise commet parfois des erreurs en chemin, mais sait les entendre, en tirer les leçons et les corriger. Il a fallu du temps, mais après un peu plus de deux ans, son dirigeant est heureux de constater l’adhésion des équipes, leur parole plus libre, la prise de décision à tous les niveaux…
Dans le sillage des précurseurs comme Favi, Poult ou Chronoflex, l’entreprise aurillacoise est devenue un des modèles du mouvement en marche, une de celles qui ont pris l’initiative et démontré l’extraordinaire potentiel de l’intelligence collective. Et son patron – pardon… son animateur – se prête autant qu’il peut aux sollicitations pour témoigner de son expérience, dans les médias, les séminaires universitaires, les assemblées d’entrepreneurs ou encore sur le blog du théoricien de l’entreprise libérée, Isaac Getz. En homme pressé mais convaincu. Et convaincant.
C’est pourquoi il apparaissait évident de l’inviter pour la première édition du Living Orgs Day.
Texte Marie-Pierre Demarty – Photo DR