Gilles Flichy, l’artiste des réseaux
Nous entamons aujourd’hui la présentation des intervenants du Living Orgs Day 2016. En commençant par le commencement : la personnalité à qui nous avons confié l’introduction de cette journée, Gilles Flichy, un homme de réseaux qui connaît bien les entrepreneurs auvergnats…
On pourrait présenter Gilles Flichy en racontant qu’il a mené toute sa carrière dans la banque, l’assurance et les caisses de retraite. Cela donnerait de lui l’image d’un homme sérieux et austère. On serait loin du compte. Celui qui, enfant, avait « cours de peinture obligatoire tous les jeudis » avec sa mère et qui, depuis peu, s’adonne à la sculpture sur bois, s’est toujours trouvé en léger décalage dans les postes de dirigeant ou de responsable de marketing qu’il a occupés. Ce qui lui a valu de très belles réussites, de la considération, mais aussi des licenciements qu’il a amortis grâce au dessin et à la relaxation. Et des séjours au placard qu’il a su rendre créatifs et épanouissants.
Voici comment il raconte ses débuts : « Avec un père officier de marine et une mère artiste peintre, j’ai grandi entre un cerveau gauche et un cerveau droit. Je rêvais d’ouvrir un magasin d’antiquités ou d’art africain, mais mon père m’en a dissuadé. Je suis entré dans la banque par défaut. Dans les diverses banques où j’ai travaillé, je passais pour un original. J’organisais des expositions de peinture, je recrutais des commerciaux qui écrivaient des romans. Quand à 27 ans je me suis trouvé directeur d’agence en région parisienne, j’ai remplacé un conseil d’administration de vieux grincheux par un groupe de quadras qui sont devenus en même temps mes consultants, chacun dans leur domaine, et mes commerciaux, qui m’apportaient des affaires alors que je ne sais pas moi-même faire le commercial. C’est le premier réseau que j’ai créé. Il y en a eu bien d’autres depuis. »
Des chefs d’entreprise sur scène
Car Gilles Flichy est un homme de réseaux : « Ça a été un mode de survie avant de devenir une compétence. J’ai beaucoup bougé dans ma vie professionnelle, alors que je n’aime pas les mutations. J’ai acquis cette capacité à construire rapidement des réseaux pour m’adapter dans ces situations instables. »
Cette méthode l’a suivi tout au long de son parcours. Pas spécialement pour le plaisir des mondanités mais pour réaliser des choses très concrètes : croiser des compétences les plus diverses possible, jouer sur la solidarité pour apporter aux dirigeants soutien et formation, sensibiliser les banquiers et assureurs aux démarches qualité… Et surtout, il a amené dans ces cercles des procédés peu orthodoxes mais hautement créatifs – le cerveau droit n’est jamais à la traîne chez lui ! – qui passent notamment par l’expérience théâtrale. Faire jouer une pièce à des dirigeants d’entreprise permet de transmettre des messages forts et de créer une atmosphère propice à l’ouverture.
En Auvergne contre son gré
En 1997, après un énième licenciement, il veut changer de voie et monte un projet autour de l’orientation. « Parce que j’avais eu moi-même des questionnements restés sans réponses. Après mon bac, par les hasards de la carrière de mon père, je me trouvais à Dakar et je tournais en rond, faute de savoir sur qui m’appuyer. De plus, j’ai cinq enfants. Je suis donc sensible au sujet ! Mais le projet n’était pas simple car les parents, surtout à l’époque, considéraient que l’orientation relevait d’un service public gratuit. »
De toute façon, le projet n’aboutira jamais, car entretemps, Gilles Flichy est repéré par un chasseur de tête qui l’envoie, quasiment contre son gré, à Clermont-Ferrand. « J’avais une très mauvaise image de l’Auvergne. J’ai mis un an à faire venir ma famille, restée à Lyon… Pourtant, depuis, je n’en ai plus bougé ! »
Révélateur de talents
Il garde pourtant de son projet, et surtout des formations et bilans de compétences par lesquels il est passé, des outils et des approches qu’il a fait fructifier par la suite. Notamment ce test du « centre de gravité professionnel », qui permet de déterminer comment chaque individu fonctionne professionnellement, afin de mieux comprendre à quelle place il pourra donner le meilleur de lui-même. C’est en passant ce test qu’il comprend tout le sens de son parcours. Il se découvre un profil de « metteur en scène dérangeant », à la fois instinctif et conceptuel.
En 1998, donc, il est nommé à Clermont directeur d’une caisse de retraite en pleine mutation, avec des projets de fusion, des enjeux complexes, des attentes contradictoires.
Il apaise la situation en sollicitant un consultant pour faire comprendre à chacun le fonctionnement différent de l’autre, en recevant chacun des salariés considérés comme irrécupérables pour les replacer dans une fonction qui leur convient mieux. « J’ai ainsi déplacé vingt-cinq pour cent des effectifs et révélé des talents cachés », se réjouit-il. Il se préoccupe aussi du bien-être des employés, propose des massages assis. Et fait passer ses innovations grâce à l’écoute, au respect et à la diplomatie.
Toujours des projets
Plus que jamais, dans ce contexte difficile, il développe ses réseaux : d’abord à l’APM (Association Progrès du Management), dont il contribue à démultiplier les groupes à Clermont, puis à l’Interclubs 63 qui réunit vingt-deux présidents. En 2010, il entraîne un de ces groupes, une fois de plus, dans une expérience théâtrale où les dirigeants côtoient de jeunes adolescents de bac pro. Il crée aussi, avec Frédéric Coureau, les Petits Déjeuners de l’Economie : encore une belle réussite, qu’il coordonne discrètement car il l’entreprend contre l’avis de son entreprise, mais en s’appuyant sur la mutualisation des moyens et des compétences. On le retrouve aussi administrateur du MEDEF ou vice-président de la CPAM, membre de divers cercles… Ou organisateur d’un séminaire de méditation pour entrepreneurs. Toujours avec ce rôle de « go between » qu’il affectionne, au point d’avoir choisi cette expression comme pseudonyme pour ses premières chroniques du Journal de l’Eco.
Aujourd’hui dégagé de ses responsabilités professionnelles, il reste actif dans toutes ces instances, quand il ne s’occupe pas à « extraire la sculpture » d’un morceau de bois qui l’inspire. Et il a encore plein d’idées ou de projets en tête : une maison du bien-être et de la bienveillance en entreprise, une structure pour aider des handicapés à se lancer dans l’entrepreneuriat…
Texte Marie-Pierre Demarty – Photo Sébastien Godot